Citons quelques exemples de pionniers au travers de différentes politiques publiques :
Dans le domaine des politiques économiques, un exemple de pionniers, bien qu’ils soient devenus désormais mainstream, est celui des créateurs de startups promus par le programme gouvernemental La French Tech (2013). Si la « startup Nation » a pu devenir un mot d’ordre porté par le président de la République lui-même en 2017, c’est qu’elle héritait d’une première mise en mouvement d’un écosystème qui était encore marginal quelques années auparavant. En mettant en visibilité l’élan entrepreneurial français, le programme gouvernemental French Tech a mis l’accent de manière originale sur la création d’entreprise comme facteur d’innovation, en rupture avec la vision française traditionnelle.
La France, qui a conçu ses politiques d’innovation au sortir de la Seconde Guerre mondiale, s’est en effet longtemps inscrite dans une logique de rattrapage. Que ce soit sur le terrain du nucléaire, de l’aéronautique, de la défense ou des télécommunications, les grands programmes des années 1960 et 1970 se situaient sur un terrain relativement connu. Mais ce modèle a vécu avec l’accélération des rythmes d’innovation portée par la révolution numérique. Pour innover dans l’inconnu, on ne peut plus parier sur le fait que toute technologie trouvera forcément son débouché (approche dite techno-push ou syndrome du Concorde). Autre mythe qui tombe : le rêve de consolidation de grands acteurs en place pour constituer d’hypothétiques « Airbus de… ». Dans l’économie numérique, l’échelle s’acquiert par la capacité de la solution à générer ce qu’on appelle des « effets de réseau » en rassemblant des communautés extrêmement étendues d’utilisateurs ou de partenaires (ex. les chauffeurs Uber), et non en agglomérant des parts de marché ou des technologies. Dans le nouveau paradigme, l’entrepreneuriat devient l’élément central et avec lui la question de l’écosystème de financement et de l’attractivité des talents, qui ont été au cœur des politiques publiques de soutien à la French Tech.
Dans le domaine de l’éducation, le plan Marseille en grand ouvre un cadre d’expérimentation pédagogique, dit Ecole du futur (2021) pour faire émerger par les acteurs de terrain des solutions aux problématiques éducatives de l’académie de Marseille. Il s’agit de donner davantage de liberté et d’autonomie aux équipes pédagogiques pour bâtir un système scolaire qui se veut « plus juste et plus inclusif », mais au fond surtout plus efficace en rapprochant la décision du terrain. Adossé à un investissement de 2,5 millions d’euros, cinquante-neuf écoles volontaires ont pu proposer en autonomie un projet éducatif pour leur établissement à faire financer (laboratoire de mathématiques, de français etc.). L’expérimentation doit permettre de dépasser, par l’exemple et les premiers résultats, les objections de principe opposées usuellement à l’autonomie des établissements, et ouvrir la possibilité d’une généralisation au-delà de la cité Phocéenne à moyen terme.
Dans le domaine de l’alimentation, le commun[1] Open Food Facts est une base de données collaborative qui permet le calcul du Nutriscore, indicateur de qualité nutritionnelle des produits de consommation courante. Open Food Facts est une association à but non lucratif qui, à ses débuts, rassemblait de simples bénévoles recopiant à la main la composition des produits inscrits sur les emballages, puis a développé un lecteur automatique et désormais bénéficie des informations livrées par les fabricants eux-mêmes. Grâce à des applications mobiles comme Yuka, qui offrent une information simple par simple scan du code barre des produits en s’appuyant sur les données Open Food Facts, le Nutriscore a développé un puissant effet prescripteur, conduisant plusieurs marques à modifier la composition de leurs produits. Open Food Facts est un dispositif pionnier en ce qu’il joue par incitation, dans un secteur où le réflexe de la puissance publique est d’agir par réglementation et qu’il s’appuie sur le pouvoir prescriptif des consommateurs.
Dans le domaine de la santé, l’association Equilibres (Hauts-de-France) propose un nouveau modèle pour les infirmiers à domicile (handicap, maladie chronique, fin de vie…), en s’appuyant notamment sur une tarification forfaitaire, au temps réel passé avec chaque patient. Alors que le paiement se fait traditionnellement à l’acte, l’initiative est pionnière en ce que le professionnel est payé pour ce qu’il fait avec le patient et est en capacité de s’adapter aux besoins et au contexte spécifique de celui-ci.
Dans le domaine de l’emploi, les Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) choisissent de privilégier le retour à l’activité des personnes les plus éloignées du monde du travail, en finançant des emplois non rentables qui doivent servir de passerelle vers des embauches classiques. Plutôt que de verser des allocations aux chômeurs, il s’agit de subventionner leur emploi sur une période transitoire, dans l’optique de leur « remettre le pied à l’étrier ». Concrètement, des entreprises à but d’emploi, créées localement, embauchent au smic, en CDI et sans sélection, des personnes sans emploi depuis plus d’un an, pour des activités utiles à la société et qui ne doivent pas concurrencer les entreprises locales. En activité, les personnes retrouvent de l’employabilité vis-à-vis des recruteurs classiques. Lancé en 2016 à l’initiative d’ATD Quart Monde, le programme, expérimental à ce stade sur soixante territoires, a permis le retour à l’emploi de plusieurs milliers de personnes.
Les TZCLD sont pionniers au sens où ils s’extraient de la vision froide et redistributive de l’Etat providence, dont la sociologie de la pauvreté dénonce de longue date les effets pervers, pour partir du but recherché – le retour à l’emploi – plutôt que ses symptômes – le manque de ressources des chômeurs. L’on fait confiance aux acteurs de terrain pour identifier les travaux utiles sur lesquels recruter au plan local (recyclerie, atelier bois, couture, épicerie en milieu rural…) plutôt que de tout vouloir contrôler et normer à l’avance dans des décrets et arrêtés. Les TZLCD nous bousculent aussi dans nos préjugés. Ce que le programme démontre, c’est que personne n’est inemployable. Loin des clichés, l’écrasante majorité des demandeurs d’emplois non seulement veulent reprendre une activité mais sont intimement capables de le faire. La dimension économique est bien présente, mais elle passe au second plan : l’on s’inscrit dans une logique d’abord humaine et de rentabilité socio-économique de long terme, intégrant le coût social très important du chômage.