Sébastien Soriano
Directeur général de l’IGN 🇫🇷
Établir des trajectoires et créer les conditions d’une projection collective
La particularité des transitions tient à leur caractère dynamique. Il ne suffit plus de penser les services publics, les institutions et les lois de manière intemporelle, comme dans un « éternel présent ». Sauf à accepter de simplement subir les changements, il faut désormais établir des trajectoires et créer les conditions d’une projection collective.
La méthode LCA propose d’aborder les transitions par un triple mouvement :
L’approche présentée ici se situe en aval des grands choix politiques. Pour prendre l’exemple de la planification écologique, qui se traduit dans le cadre de France Nation Verte (2022) par des feuilles de route traçant la trajectoire à emprunter pour réinventer les transports, le logement, l’agriculture… la méthode LCA offre un guide possible sur la bonne manière de mettre en œuvre ces orientations sur le terrain, en s’appuyant sur les administrations compétentes.
Le registre est donc celui de l’implémentation, ou pour prendre un vocabulaire choisi récemment par le Conseil d’Etat, celui du « dernier kilomètre » de l’action publique. Bien entendu, dans la réalité, le processus n'est pas séquentiel : la question du « comment faire ? » est posée dès la prise de décision et le découpage est plus intellectuel que temporel. Pour appréhender le cycle complet de l’action publique on pourrait si l’on veut plutôt parler de méthode « OLCA » où « O » désignerait le verbe « orienter ».
Directeur général de l’IGN 🇫🇷
Le contenu de la méthode LCA est résumé ci-dessous :
Message de la puissance publique | Leviers d’action publique | |
---|---|---|
Légitimer les pionniers | « C’est possible, encourageons celles et ceux qui nous montrent la voie » | autoriser, financer l’émergence, mettre en visibilité |
Convertir la majorité | « Allons-y ensemble, j’ai balisé le chemin » | faire passer à l’échelle l’offre de transition, développer les infrastructures du changement, changer les comportements, créer des standards, rassembler les actions éclatées, s’inspirer des communs dans l’action publique |
Acculer les puissants | « La projection collective ne doit pas être entravée par des intérêts particuliers » | taxer ? réguler les acteurs systémiques, réguler avec les données |
On pourra être surpris que la méthode LCA mobilise peu de fonds publics et recourt peu à la loi ou au décret. C’est un retour d'expérience de la pratique publique : ces instruments, aussi nécessaires soient-ils, sont rarement au cœur des problèmes de notre temps. Bien souvent, l’on confond les fins et les moyens : on met en place des financements pour mettre en mouvement le corps social, on adopte des lois pour fixer un horizon commun, on créée des commissions pour reconnaître un réseau d’acteurs… Ces objectifs peuvent bien souvent être atteints par des voies plus légères et au final plus efficaces. La méthode LCA revendique ainsi une forme de frugalité administrative, attitude qui s'avère souvent plus robuste et résiliente dans les transitions.
Nous vivons un moment charnière. C’est comme si tous les paradigmes conspiraient à se rouvrir ensemble : la manière de faire société, rebattue par les réseaux sociaux ; nos habitudes de consommation et de déplacement, comme nos modes de production, au changement desquels nous convoque le triple défi du climat, des ressources et de la biodiversité ; les innovations technologiques qui concurrencent toujours plus de métiers et savoir-faire ; les nouveaux équilibres géopolitiques qui réinterrogent nos alliances et notre souveraineté…
Ces changements ouvrent autant d’opportunités mais aussi d’incertitudes. Dans notre pays, c’est naturellement vers l’État que les regards se tournent pour apporter des réponses. Mais de quel État parle-t-on ? La promesse de « redressement productif » (2012) s’est heurtée à la réalité d’une économie mondialisée, soumise à une forte accélération technologique. Les gilets jaunes (2018) nous ont rappelé les limites des outils traditionnels d’intervention de l’État (en l’occurrence la fiscalité) lorsqu’ils entrent en conflit avec le vécu de nos concitoyens. Le covid-19 (2020) et la guerre en Ukraine (2022) ont jeté une lumière crue sur la fragilité de grands services publics, ceux de la santé et de l’énergie, tout comme sur la dépendance de notre pays à se fournir en biens essentiels.
Pour conduire le pays dans la période qui s’ouvre, l’État serait bien inspiré de s’interroger sur sa manière d’agir, et pourquoi pas d’inventer de nouvelles formes et de nouvelles postures. C’est probablement, de manière prosaïque, un impératif également financier et opérationnel : dans la période complexe qui est la nôtre, où l’État est attendu à tout bout de champs, il lui faudra trouver des modes de réponse qui ne se traduisent pas systématiquement par de nouvelles dépenses et de nouvelles complexités administratives.
Pour imaginer cela, l'on s'appuie d'abord sur les travaux désormais nombreux faisant état d'un essoufflement du pilotage public "par le haut" tel qu'il a été pensé dans les années 1990, parfois résumé par l'expression d'"État stratège" ou de "new public management à la française" - et dont les limites sont désormais soulignées par de hautes instances telles que le Conseil d’État et France Stratégies [1]. On fera aussi profit des tentatives de renouvellement de ce logiciel d'action telles qu'elles ont pu être exposées sous l'expression d’action publique « en réseau », d’État « entraînant », d’État « relationnel », d’État « garant des coalitions »... [2] Ces approches ont pour point commun de chercher à étendre l’influence de l’État en nouant des alliances avec des écosystèmes d’acteurs, potentiellement larges – collectivités locales, associations, collectifs citoyens, entreprises privées, etc. L’État agit alors avant tout comme abord un guide, un entremetteur, un amplificateur, un garant, une ressource...
Suivant ce sillon, mais en étant particulièrement focalisé sur la problématique des transitions, le présent pad propose de dégager une méthode-type à l’aune de laquelle l’État pourrait concevoir ses modes d’intervention. Établie sur la base d’exemples issus d’une série de programmes d’action publique concluants ou prometteurs lancés depuis une dizaine d’années, la méthode est désignée par l’acronyme « LCA », pour « légitimer, convertir, acculer ».
La méthode LCA pourra nourrir le concept d’« écologie à la Française » voulue par le président Emmanuel Macron pour dépasser l’opposition entre relativisation du changement climatique, d’une part, et ce qui est vécu comme une stigmatisation des modes de vie non durables, d’autre part. Dans le champ numérique, LCA pourra aussi paver la « troisième voie » cherché par le président entre les modèles Chinois et États-unien, à la recherche d’une technologie à la fois décentralisée et respectueuse des principes humains et démocratiques.
La méthode LCA assume sa part de tâtonnement et se veut une tentative de prise de recul pour dégager à grands traits une matrice tournée vers l’action. La contribution est pleinement ouverte à discussion !
[1] Yann Algan et Thomas Cazenave (dir.), L’État en mode start-up, Paris, Eyrolles, 2016Clément Bertholet, Laura Létourneau, Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent, Armand-Colin, 2017.Sébastien Soriano, Un avenir pour le service public, Odile Jacob 2020Daniel Agacinski et al., L’État qu’il nous faut, Berger-Levrault, 2021Aurélie Rousseau, La Blessure et le Rebond, Odile Jacob, 2022
[2] France Stratégies, rapport "soutenabilités !", 2022Conseil d’État, étude annuelle sur le "dernier kilomètre de l'action publique", 2023
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