Une grande faiblesse du monde administratif est son éclatement. Le millefeuille territorial en est l’exemple le plus régulièrement mis en avant. Mais l’on peut aussi mentionner, sous l’effet des politiques incitatives de gestion publique pensées dans les années 1990 (généralisation des appels à projets, invitation des administrations à développer des ressources propres, incitations économiques comme la tarification à l’activité des hôpitaux) une forme de concurrence qui s’est développée entre intervenants de la sphère publique. Ces maux sont connus mais il faut souligner combien les méthodes employées jusqu’à présent pour y remédier se sont avérées inefficaces. Toutes les tentatives de simplification administratives ont échoué.
Plutôt que de simplifier pour simplifier, quelques initiatives procèdent plutôt par rassemblement des acteurs. L’intuition est au fond que toutes les parties prenantes sont légitimes et que le problème à combattre est qu’elles travaillent en silo. Plutôt que de chercher à élaguer à un niveau institutionnel (ce qui se termine souvent par des compromis peu opérants en pratiques), mieux vaut travailler au niveau des modes d’action collective et de leur gouvernance. L’on serait tenté de résumer cela par ce slogan : « désilotage is the new simplification ».
Dans le domaine de l’aménagement du territoire, on peut citer le programme Action cœur de ville (2017). Le constat de départ, c’est la perte d’attractivité des petites villes (Aurillac, Blois, Rochefort, Bayonne, Basse-Terre, Grasse…), qui représentent pourtant le quart de la population comme des emplois en France, et un certain saupoudrage des dispositifs publics, nombreux, pour y répondre. Plutôt que de créer encore de nouveaux programmes, Action cœur de ville aligne, sous le pilotage du maire, toute une batterie de dispositifs dans les domaines de l’habitat, des commerces, de la création d’emplois, des transports et de la mobilité, de la transition écologique, de l’offre éducative, culturelle et sportive, de développement des usages des outils numériques… Ceux-ci s’inscrivent ainsi dans un projet cohérent défini par le bas, par des collectivités locales volontaires (222 au total) et qui s’engagent par contrat. Le programme rassemble des grands investisseurs parapublics, qui chacun redéploient d’importantes lignes de budget dans le dispositif, ainsi que l’État qui aligne quantité de dispositifs d’aides, de labels, de crédits d’impôts, de réglementations.
Autre exemple dans le domaine des lieux accueillant du public, celui des Maisons France Service (2015). Il s’agit d’un lieu physique rassemblant sous un même toit un panel de services de proximité : la Poste, Pôle emploi, les caisses d’assurance maladie, retraite, familiale et la mutualité sociale agricole, ou encore le réseau de gaz à travers GRDF. Le projet vise à lutter contre la fermeture des points de présence, coûteux, de ces différents services d’intérêt général en zone rurale et périurbaine. En se mettant ensemble, les acteurs réduisent fortement les charges et simplifient dans le même mouvement la vie des citoyens qui n’ont plus qu’à ouvrir une porte au lieu d’une multitude de guichets. Le site est animé par des agents-médiateurs qui assurent un accompagnement administratif de premier niveau sur des thématiques variées de la vie quotidienne : emploi, retraite, famille, social, santé, logement, énergie, services postaux, accès au droit, etc. Ces lieux proposent aussi une médiation numérique, pour aider dans les démarches ou plus largement lutter contre l’« illectronisme ». Autour de ce noyau, il peut y avoir des variations selon les besoins des territoires et l’investissement des différents partenaires, réunis au sein d’un groupement d’intérêt public. On comptait 2 738 Maisons France Services en octobre 2023. 99% des Français sont désormais à moins de 30 minutes d’une maison France Services, et 90% à moins de 20 minutes.
Dans le champ de la gestion forestière, il faut citer l’Observatoire des forêts françaises (2023). Cet observatoire rassemble les principales parties prenantes de la forêt : 3,1 millions de prioritaires privés (les trois quarts de la forêt française métropolitaine), la forêt dite domaniale appartenant à l’Etat (9 %) et les autres forêts publiques (16 %), essentiellement des forêts communales (6 000 adhérents à la fédération nationale des communes forestières). Dans le contexte de tensions croissantes entourant les forêts (enjeux sanitaires, risque incendie, sécheresses et changement climatique) et des opportunités qu’elles présentent pour la réduction des émissions de CO2 (puits carbone forestier, utilisation du bois matériau dans la construction et l’ameublement), il était impératif de se doter d’un poste de pilotage rassemblant toutes les données pour connaître la forêt et comprendre son évolution rapide, ce que propose désormais l’Observatoire. Celui-ci permettra aussi de piloter le Plan de renouvellement forestier (2023) consistant à replanter un milliard d’arbres en France d’ici 2032.